lundi 31 octobre 2011

Panique au Metropolitan Museum, suite et fin

Je crois que je viens de vivre la scène la plus curieuse de mon existence ! Notre « visite » au Metropolitan Museum avec grand-père était… surnaturelle ! Pourtant, au début, tout avait l’air normal.

Il y avait beaucoup de monde qui venait assister à l’expo : le fait que le grimoire soit exposé seulement deux jours rend l’événement assez exceptionnel pour que les visiteurs viennent en masse. Bref, il était très difficile d’avancer. Mais, dès les premiers pas à l’intérieur du musée, j’ai senti que Melkaridion était bizarre… Enfin, je veux dire, plus bizarre que d’habitude.

Il parlait tout seul, rien d’extraordinaires donc, mais d’une voix anormalement forte, pleine d’excitation. Il était complètement dans une autre époque. D’immenses grilles étaient exposées, qui venaient apparemment de Tolède. En passant devant elles, Melkaridion a montré à la foule de petites marques sur le métal en commentant : « J’étais attaché à cet endroit même. Heureusement, les liens étaient faits en crins de cheval, il m’était facile de me libérer ! » Les gens autour souriaient, certains se prirent même au jeu, et applaudirent en lançant des « Oh ! » admiratifs : ils pensaient que Melkaridion était un guide un peu original. Mais mon grand-père n’en avait pas fini : à l’entendre, chaque pièce du musée était liée à son histoire personnelle, et il nous racontait ses mille ans d’existence auprès des plus hautes autorités européennes. Les gens étaient captivés par cet homme si cultivé, capable de rendre aussi vivante l’histoire du Moyen Âge.

Puis, d’un seul coup, la mine de mon grand-père a changé. Il est devenu de plus en plus sombre, à mesure que ses « souvenirs » refluaient. Il s’est mis à raconter comment des milliers de magiciens – dont sa famille ! – avaient un jour été massacrés par des sorciers maléfiques. Il aurait perdu sa mère ainsi. Sa description était troublante de réalité, comme s’il avait effectivement été présent ! Au même moment, Master Markus, l’énorme cloche dont je vous ai parlé et qui fait tout de même plus de 6 tonnes, s’est mise à sonner inexplicablement. Il n’y avait personne pour la faire bouger, mais le son était bien réel, lui. Un mouvement de panique a alors traversé la foule. Plus le son de la cloche s’amplifiait, plus la foule s’inquiétait. La panique a atteint son paroxysme lorsque les murs ont commencé à trembler : tout le monde pensait que le Met était l’épicentre d’un séisme. Les murs ne semblaient pas vouloir céder, mais les objets volaient à travers les salles, avant de finir leur course au sol, souvent brisés en mille morceaux.

Contrairement à la foule affolée qui se ruait vers la sortie, mon grand-père, sans même sourciller, continuait à progresser vers la salle où était exposé le grimoire. Plus il avançait, plus le vacarme de la cloche se faisait puissant, et plus les convulsions du bâtiment s’intensifiaient. Arrivé au niveau de Master Markus, mon grand-père s’est immobilisé : se tournant vers elle, il a murmuré : « Elle devrait être muette… » Il répétait cette phrase en boucle, de plus en plus vite, de plus en plus fort, jusqu’à finir par hurler : « ELLE DEVRAIT ÊTRE MUETTE !!! » Là, comme par magie, la cloche lui obéit, et le silence se fit… Les rares personnes qui se trouvaient encore dans les parages et avaient assisté à la scène demeurèrent bouche bée. Moi aussi, j’étais ébahi devant l’exploit que venait d’accomplir mon grand-père.

Mais lui ne se souciait ni du regard des visiteurs ni de mes interrogations. Il a continué à se frayer un chemin à travers la foule, ses yeux cherchant désespérément le fameux grimoire. Quand il le trouva enfin, Melkaridion perdit tout contrôle. Il se mit de nouveau à hurler. Il disait que ce n’était pas normal que ce grimoire soit ici, qu’il aurait dû rester caché, oublié. Que, de toute manière, il lui appartenait. Surtout, que c’était une catastrophe pour notre famille. Enfin, dans un geste désespéré, il décida de briser la vitrine qui protégeait le précieux ouvrage. J’étais étonné de la vigueur qu’il y mettait : ces coups étaient d’une force inouïe, surtout pour un vieillard de presque cent ans. Mon grand-père était méconnaissable : il était impossible de le calmer, et la vitrine commençait à se fissurer.

Le son d’une alarme vint s’ajouter au vacarme de la foule en panique. Finalement, les gardes sont arrivés : ils ont menacé mon grand-père, qui a par bonheur fini par reprendre ses esprits. J’ai pu discuter calmement avec eux, et ils nous ont laissé sortir. De toute manière, ils avaient d’autres chats à fouetter, vu l’ampleur des dégâts ! J’ai donc pris mon grand-père par le bras, et on est sorti du Met. Il était temps !

Je dois avouer que je suis un peu dépassé par les événements. Il est temps que je demande des explications à ma mère, même si je dois pour ça affronter sa colère.

Comment échapper à la colère de ma mère?

Ouf, je respire enfin. J’imagine que ma mère va être furieuse mais, au moins, elle ne pourra pas dire que je n’ai pas pris mes responsabilités et arrangé les choses. Ah, c’est vrai, je ne vous ai pas encore vraiment parlé de ma mère.

Elle s’appelle Melidiane (encore un nom sorti de nulle part), et c’est la fille de Melkaridion. Cependant, ils sont assez différents sur le plan psychologique : mon grand-père, comme la plupart des hommes de ma famille, avait la capacité de garder son sang-froid en toutes circonstances – c’est moins le cas maintenant, comme vous avez pu vous en apercevoir –, tandis que ma mère, question sang-froid... Vous n’imaginez pas à quel point sa colère peut être destructrice. Je sais qu’elle nous aime profondément, et qu’elle ferait tout pour protéger notre famille. Le problème, c’est qu’elle est un peu parano. Du coup, ses réactions sont disproportionnées ! Elle déteste perdre le contrôle de la situation et, quand ça arrive, c’est l’explosion : une sorte de nuage atomique au sein de la maison ! Il vaut mieux ne pas se trouver sur sa route à ce moment-là. Et, en l’occurrence, je sens que ça va être le cas… Il n’y a que deux choses qui peuvent la calmer : la peinture (c’est en partie pour ça qu’elle est devenue artiste) et, comme je vous l’ai déjà dit, mon père.

Pour couronner le tout, il est juste impossible de lui mentir : elle a un vrai don pour lire dans les pensées. Elle peut refaire la journée de quelqu’un rien qu’en regardant au fond de ses yeux. C’est super flippant, on a l’impression d’être passé au scanner ! Et c’est diablement efficace.

Il n’y a plus qu’à espérer qu’elle n’utilise pas son don sur moi cette fois-ci ! Sinon, il ne me reste plus qu’à cligner des yeux pour l’empêcher d’y lire…

Panique devant le Metropolitan Museum de NY...

Il était vraiment moins une : lorsque je suis arrivé au Metropolitan, après un sprint de trois-quarts d’heure entre Brooklyn et le cœur de Manhattan, grand-père était déjà entouré d’une foule compacte… et pas très aimable. Décidément, il a vraiment du mal à décrypter la psychologie humaine.

Il était en train de monter les marches du Metropolitan lorsqu’il s’est rendu compte à quel point elles étaient bondées. Un peu agoraphobe, il a donc décidé de se « faire oublier afin de passer inaperçu ». Traduction : il a « fait la statue », sur les marches du Met, au milieu de la foule. Les gens ont d’abord cru que c’était une représentation artistique : pour saluer la performance – Melkaridion étant parfaitement immobile depuis plus de cinq minutes, tout de même –, ils ont commencé à applaudir… et à lui jeter des pièces. Erreur tragique ! Mon grand-père est sorti d’un seul coup de son état de « statue » et a balancé un violent coup de pied dans le tas de pièces qui s’était formé devant lui. La sympathie que ressentait la foule envers ce vieillard talentueux s’est transformée en ressentiment. Ils criaient au scandale ! Ils ne comprenaient pas qu’il ait osé refuser leur aide. Moi, je sais que Melkaridion a été profondément blessé par cette charité qu’il n’avait pas demandée et dont il n’avait pas besoin.

Je suis arrivé à ce moment-là. Une nouvelle fois, j’ai dû expliquer à tout le monde que « tout allait bien », que « mon grand-père n’était pas méchant » mais qu’il n’avait pas « toute sa tête ». Rassurés, les badauds se sont dispersés.

J’ai plutôt bien géré la situation, non ? En tout cas, je crois avoir évité la catastrophe !

Sur la piste de Melkaridion Dolce...

Je crois savoir où est grand-père… Lorsque je faisais le tour du parc, j’ai vu un petit prospectus publicitaire sur la nouvelle exposition du Metropolitan Museum. Il s’agit d’un événement exceptionnel, qui ne dure que deux jours, sponsorisé par la Fondation 18. Le musée expose un vieux grimoire de magie datant du xie siècle, d’une valeur inestimable.

Et, ce grimoire, je me souviens que mon grand-père m’en avait déjà parlé plusieurs fois. Plus que sa valeur historique, c’est ce qui est écrit dedans qui intéresse à coup sûr Melkaridion. Selon lui, l’ouvrage a été écrit par une mystérieuse guilde de magiciens, il est donc fondamental pour étudier l’histoire de la magie. Apparemment, mon grand-père a déjà eu l’occasion de le lire, parce qu’il m’a raconté ce qu’il contenait : il appelle ça le « deuxième secret », celui de la création du démon ! Ça a l’air complètement fou comme ça, mais mon grand-père prend ces choses très au sérieux. Il connaissait l’existence de ce grimoire bien avant que le Metropolitan le récupère, et il a toujours voulu qu’elle reste secrète. Il a vraiment peur des conséquences si les hommes réussissaient à le déchiffrer.

Il est donc forcément parti là-bas. Je dois y aller le plus vite possible !

Grand-père a disparu!!!!!

Mais qu’est ce qui a bien pu se passer ? Mon plan était parfait : le seul risque, c’était que mon grand-père rencontre des passants. Mais j’avais choisi exprès un parc isolé. Comment j’aurais pu deviner qu’il allait faire une fugue ? C’est complètement insensé, je l’ai laissé dans son environnement favori, en pleine « discussion » avec un chêne plus que centenaire… Il n’aurait pas dû bouger !

Bon, restons calmes, en vingt minutes, il n’a pas pu aller bien loin. Mais je viens de faire le tour du parc, pas de Melkaridion en vue. Je sais, ce parc est immense, mais je vous assure que j’ai fouillé le moindre recoin. En vain ! Il a dû être déconcentré par quelque chose de vraiment très important pour lui, parce que, lorsqu’il discute avec un arbre, vous pouvez toujours courir pour attirer son attention. La seule chose qui a pu l’attirer ailleurs, c’est un truc en lien avec l’histoire, ou la magie, ou les deux…

En tout cas, je dois absolument le retrouver avant que ma mère découvre l’étendue du désastre… Parce que, grâce à Lea, elle est déjà plus ou moins au parfum. Qu’est-ce que je vais me prendre si je ne mets pas rapidement la main sur grand-père !

Première répétition vers la gloire!

Et une répétition, une ! Elle s’est plutôt bien passée, d’ailleurs. On a super-bien joué et, surtout, ma mère ne se doute de rien !

J’ai emmené grand-père au parc près du hangar qui, comme prévu, était quasiment vide. Je l’ai donc laissé au milieu d’un bosquet pour qu’il ne « s’ennuie » pas. Lorsque je suis parti, il avait l’air parfaitement dans son élément, en pleine discussion avec un chêne...

Ensuite, j’ai directement filé au hangar. Comme d’habitude, je suis arrivé avec un bon quart d’heure de retard… juste à temps pour entendre Elton râler… Un vrai roquet, quand il s’y met : « Il fait chier Antonius ! On ne devrait pas lui faire confiance. C’est ridicule de jouer au papy-sitter. Et comment on va faire pour assurer si on ne répète pas ? » La routine, quoi ! David l’a remis à sa place, ce qui l’a rendu encore plus énervé contre moi. Mais, franchement, je n’y peux rien si je suis surchargé ! Entre nous, je pense qu’il est surtout jaloux parce que je suis meilleur que lui…

Bref, il était vraiment furax et a fait mine de partir. Heureusement, David et moi avons lancé les premières notes de « Good Death », notre chanson phare. Elton est revenu et la répétition a enfin pu commencer. La suite s’est très bien déroulée. Bon, d’accord, quand Elton a absolument voulu me montrer comment jouer le passage d’un morceau, j’ai pris un malin plaisir à le massacrer - le morceau, pas Elton ! – tout en m’excusant d’être trop mauvais. OK, c’est puéril, mais ça m’a fait un bien fou !

Par contre, David s’en est rendu compte et n’a pas trop apprécié… Il m’a même dit que ça confirmait le pressentiment qu’il avait. Il m’a avoué qu’il pensait que je jouais la comédie. Qu’il savait que je faisais exprès de louper des exos de maths comme certains riffs de guitare. Il ne comprend pas pourquoi je m’obstine à cacher mes talents… Clairement, après tout ce qu’on a vécu ensemble, il mériterait de partager mes secrets et ceux de ma famille. Après tout, c’est mon meilleur ami ! Mais, je ne sais pas, quelque chose m’empêche de tout lui raconter sur nous…

Bon, je file, je dois retourner chercher grand-père au parc !

dimanche 30 octobre 2011

Échapper à la surveillance de mes parents : mission impossible? => NON!

Bon, ok, la balade d’hier avec grand-père a été un vrai fiasco… Mais ma mère a été ravie. L’effet sur grand-père aurait été positif : il « rayonnait ». Pour elle, j’avais particulièrement bien géré la situation. Elle m’a même dit qu’elle me faisait entièrement confiance pour la suite, ce qui revient grosso modo à me demander de réitérer l’expérience. Au début, je n’ai pas franchement sauté au plafond… mais je me suis finalement dit que ça pouvait servir les intérêts de chacun…

Je m’explique : mes parents sont rassurés car je m’occupe de Melkaridion et, de mon côté, je peux vaquer à mes occupations… comme par exemple aller à mes répétitions ! C’est un peu risqué, mais j’ai analysé ce qui avait planté hier. L’erreur, c’est d’avoir emmené grand-père dans un parc trop fréquenté. En revanche, celui qui se trouve près du hangar où mon groupe répète est immense et, surtout, quasiment désert la plupart du temps. La probabilité que mon grand-père attire la foule est donc assez faible. Donc, voici la solution : je l’emmène au parc, je le laisse parler aux arbres et communier avec la nature et moi, pendant ce temps, je file à ma répèt’. On la boucle en vingt minutes, je récupère grand-père, et on rentre, ni vu ni connu !

Il faut juste que ma sœur ne dise rien à mes parents, sinon je ne donne pas cher de ma peau… Entre nous, ce n’est pas gagné, parce que, des pipelettes comme elle, on n’en fait plus ! On dirait qu’elle cherche à s’attirer des ennuis… et à en attirer aux autres par la même occasion. Vous ne connaissez pas ma sœur ? Croyez-moi sur parole, vous ne passez pas à côté de grand-chose… Bon, c’est ma sœur, je l’adore, mais ça n’empêche qu’elle est l’archétype de l’ado rebelle. Elle s’appelle Leamedia (encore un nom qui ne court pas les rues…) et elle fait plutôt mature pour son âge. En apparence… À onze ans, elle se la joue mademoiselle-je-sais-tout, et elle est persuadée que personne ne peut la comprendre, elle, la gothique. Oui, je sais, ça fait beaucoup mais, le pire, c’est que je n’exagère pas. Elle a un caractère insupportable et assume parfaitement son rôle de « petite peste ». Son look : vêtements noirs et sexy (ça, c’est son côté « je suis grande et je veux plaire aux mecs, aux vrais ! »), avec de préférence des têtes de mort dessus (comme toute gothique qui se respecte) et, évidemment, elle se plaint en permanence que nos parents la briment et mettent en péril sa liberté (ça, c’est pour faire la rebelle). Bref, elle est le vrai élément perturbateur de la famille. Je ne vous raconte pas comment les relations sont tendues entre ma mère et elle. Je ne donne pas entièrement raison à Melidiane, mais il faut dire que Lea n’est pas facile à gérer, surtout depuis qu’elle est entrée en pleine crise d’adolescence. Pour couronner le tout, elle est « fooooollement amoureuse » de David, mon meilleur ami, ce qui m’exaspère au plus haut point. Déjà, une sœur et un meilleur ami ne devraient rien avoir à faire ensemble. En plus, depuis qu’elle a eu « le coup de foudre », elle essaye systématiquement de s’incruster quand je vois David. Ah, j’allais oublier : il faut rajouter au tableau sa bande de copines plus nunuches les unes que les autres et, bam ! c’est le cocktail explosif !

Enfin, si elle parle, je suis foutu. Et je n’ai pas d’autre choix que de lui faire confiance malgré tout. Ce qui me rassure un peu, c’est de savoir qu’elle est plus intelligente qu’elle n’y parait…

jeudi 27 octobre 2011

Je rectifie : pire balade de ma vie… Les frasques de Melkaridion, suite et fin

M’attendant dès lors au pire, j’ai continué mon périple vers le parc accompagné de mon grand-père. Au début, je ne m’étonnais même plus de ses réactions. Mais je me suis rapidement rendu compte qu’elles manquaient cruellement de cohérence. Comme s’il choisissait ses « moments Alzheimer », s’effrayant quand une simple voiture nous dépassait mais se montrant imperturbable face à l’embouteillage monstre sur le Brooklyn Bridge. J’en viendrais presque à croire qu’il se fiche de moi, qu’il est tout à fait lucide mais qu’il a parfois besoin de lâcher prise, par lassitude ou par flemme. À son âge, moi non plus je n’aurais sûrement pas envie de faire des efforts pour m’adapter à la société. Il a déjà vécu tant de changements au cours de sa vie !
Bref, tout se passait plutôt bien quand nous sommes enfin arrivés au parc. C’est le moment qu’a choisi Melkaridion pour entrer dans une sorte de transe. Que je vous explique…

Un parc, dans une ville, c’est l’unique endroit où l’on peut s’échapper de l’environnement urbain pour se ressourcer dans un cadre relativement naturel, au milieu de plantes, d’arbres et des quelques animaux y ayant trouvé refuge. C’est exactement ce que recherchait mon grand-père. Il est d’ailleurs immédiatement « entré en communion » avec la nature. Il s’approchait des arbres, fermait les yeux, les caressait, leur parlait, comme s’il voulait leur redonner des forces et de leur permettre de lutter contre les agressions de la ville. Un peu comme s’il était leur gardien, leur protecteur… Sur le coup, j’ai trouvé cette attitude vraiment touchante : moi-même je suis persuadé qu’en s’occupant bien d’une plante, en lui montrant une forme d’affection, elle se met à mieux pousser, comme si elle puisait dans notre énergie.

Mais je ne m’étais pas rendu compte de l’impact que pouvait avoir un tel comportement en plein cœur de New York. Un nouvel attroupement s’est vite formé autour de mon aïeul. Certains le considéraient comme fou, d’autres le crurent sous l’emprise de la drogue, et d’autres encore estimèrent qu’il ne pouvait s’agir que de la performance d’un artiste engagé désirant sensibiliser les gens à la nécessité de protéger l’environnement. « Passer inaperçus », disaient mes parents : un échec cuisant. Mais le pire restait à venir…

Les passants s’agglutinaient toujours plus autour de l’arbre où se trouvait grand-père. Ce dernier a fini par exploser : « Écartez-vous !!!! Vous l’étouffez !!! » La foule, jusqu’alors plutôt avenante envers ce sympathique vieillard, est devenue carrément hostile. De quel droit ce vieux fou osait-il leur donner des ordres ? Le climat se dégradait de seconde en seconde. J’ai dû intervenir. « Excusez-le ! Ne vous inquiétez pas, c’est mon grand-père. Il ne voulait pas être méchant, il n’a juste plus toute sa tête. » J’avais honte de ce que je disais : cet homme, la sagesse incarnée, les dépasse tous de loin en intelligence… ou tout du moins les dépassait avant que l’âge ne fasse ses ravages ! Mes scrupules ont fini par s'évanouir lorsque la foule a décidé de se disperser… 

J'ai alors raccompagné mon grand-père chez nous, en repensant à la manière dont je l’avais fait passer pour un vieillard sénile. « Sois digne et fier de notre famille. Elle le mérite. Tu n’imagines pas à quel point », m’a-t-il alors lancé, comme s’il lisait dans mes pensées. Quand je disais que son manque de lucidité, ses pertes de mémoire et ses élucubrations me paraissaient une façade ! Comme s’il voulait simplement qu’on lui fiche la paix…

Dur début de balade : pas facile à gérer, le grand-père…

Je savais bien que promener grand-père dans un endroit public ne serait pas une partie de plaisir, mais je ne m’attendais pas à un tel cirque ! Nous avons été l’attraction du quartier pendant une bonne demi-heure. Je ne serais même pas étonné que l’on passe sur une chaîne d’information locale, avec comme sous-titre : « Avis de recherche : un fou échappé de l’asile psychiatrique veut rétablir la dîme » !

Pourtant, tout commençait bien, en tout cas mieux que ce à quoi je m’attendais. La rue dans laquelle nous vivons est plutôt calme, grand-père était donc en confiance… Jusqu’à ce que l’on croise un horodateur. Objet normal de la vie quotidienne pour chacun d’entre nous, n’est-ce pas ? Eh bien, allez l’expliquer à un vieillard atteint d’Alzheimer et qui croit vivre en pleine France de l’Ancien Régime. Il fallait voir sa réaction lorsque je lui ai expliqué qu’on y mettait de l’argent pour pouvoir stationner dans la rue et que, non, cet argent n’était pas perçu par Henry IV. (Il se croyait en 1600…)

Alors Melkaridion s’est emporté : « Comment ? Qui ose prélever un impôt à la place de notre bon Roi ? Pourquoi laisse-t-on ces malandrins installer leur machine sans protester ? J’ai toujours admiré la magnanimité de notre vénéré monarque, mais, sauf le respect que je lui dois, sa grandeur d’âme confine à la mollesse ! »

J’ai d’abord cru qu’il suffirait, pour le ramener à la raison, de lui expliquer qu’aucun roi n’était spolié, puisque, en l’occurrence, il n’y en avait pas, et que l’argent récolté servait à la collectivité… Mais non ! Mon grand-père, tel Don Quichotte s’acharnant contre un moulin à vent, avait décidé qu’il se devait de « déloger ce mécanisme menaçant l’autorité royale ». Déjà, les badauds s’agglutinaient autour de nous pour observer la scène. Mon grand-père, le visage rougi par l’effort, la chevelure ébouriffée, sa souris Simone sur l’épaule – tout aussi abasourdie que moi, d’ailleurs ! – ne les voyait même pas : il s’acharnait sur le parcmètre à grands renforts de gestes rageurs et de cris scandalisés, convaincu qu’il finirait par le soumettre à sa volonté. Un sketch !

Pendant ce temps, j’essayais tant bien que mal de le raisonner tout en dispersant le troupeau de passants qui riait aux éclats devant le ridicule de la scène. Finalement, c’est l’horodateur qui a eu raison de lui, refusant obstinément céder aux multiples tentatives de mon aïeul : « Nous verrons si cet engin de malheur restera longtemps en place une fois que j’en aurai informé les plus hautes instances du royaume ! » a-t-il conclu. 

Dénouement certes peu glorieux mais qui nous a évité le pire ! Et dire que ce n'est que le début de la promenade...

"À la gloire de mon père" (suite)

J’ai reçu une tonne de messages de gens voulant en savoir plus au sujet de mon père, notamment sur sa capacité à « arrondir les angles ». Je continue donc sur ma lancée. Mais ça reste entre nous : si mes parents le découvrent, je suis mort !

Reprenons. Mon père joue un rôle central dans la vie de ma famille. Bien qu’il puisse avoir l’air plus effacé, en tout cas un caractère moins marqué que nous autres, il est néanmoins le véritable ciment de notre famille.
Cela vous étonne ? En fait, son flegme naturel, son sang-froid et son sens de la nuance lui permettent de garder son calme et donc toute sa capacité de discernement, y compris dans les situations de crise, assez fréquentes dans la famille, il faut bien l’avouer, avec un grand-père un peu fou, une mère relativement autoritaire et caractérielle, et deux adolescents en quête de liberté. Comme on le considère  tous comme totalement objectif et impartial, c’est lui le médiateur, l’arbitre de la famille. Il est d’ailleurs la seule personne à pouvoir éteindre les légendaires explosions de colère de ma mère. Et ce n’est pas un mince exploit !

Bon, il est temps d’emmener grand-père au parc ! Je sens que ça va être épique : j’ai emprunté le smartphone de David pour pouvoir vous raconter ça en live :)

mardi 25 octobre 2011

"À la gloire de mon père"

Depuis la dernière fois, j’ai essayé par tous les moyens d’échapper à la corvée du papy-sitting. Envoyer ma sœur à ma place ? « Trop jeune ! Elle n’a que onze ans ! » Prétexter une tonne de devoirs ? « Comme si tu avais besoin de réviser pour réussir… » Un rhume ? « Mais tu n’es jamais malade ! ».

Et finalement, mon père m’a convaincu. Il est tout de même doué. Il a réussi à faire d’une corvée un honneur… J’ai comme l’impression de m’être fait avoir ! Mais laissez-moi vous parler un peu de lui.

Son nom d’abord : Rodolpherus (je vous avais bien dit que ma famille avait le don de trouver des prénoms complètement improbables !). Signes distinctifs : une érudition phénoménale et une incroyable capacité à « arrondir les angles ».

Il travaille actuellement à l’Observatoire astronomique de New York. Mais j’ai parfois l’impression que ce n’est qu’un vulgaire passe-temps pour lui. C’est sans aucun doute la personne la plus érudite et cultivée que je connaisse. Philosophie, littérature, musique, sciences dures… Aucune œuvre, aucune théorie ne semblent avoir de secret pour lui… Un peu comme s’il avait lu chaque ouvrage de la bibliothèque municipale de New York. Alors, certes, il y passe énormément de temps, mais tout de même, comment un homme peut-il ingurgiter une telle quantité de savoir ? A priori, cela semble inexplicable !

Non seulement il connaît tous ces ouvrages, mais surtout il les a complètement compris et assimilés ! La théorie de la relativité d’Einstein est limpide pour lui, tout comme l’est la pensée de Descartes… Il est aussi tout à fait capable de réciter par cœur l’intégralité des Misérables de Victor Hugo. Il y en a qui ont l’oreille absolue, mais lui, j’ai l’impression que c’est sa mémoire qui est absolue. C’est effrayant ! Apparemment, j’aurais hérité d’un peu de son talent, ce qui explique mes facilités à l’école ou pour apprendre la guitare.

Bref, si je peux vous donner un conseil : ne vous lancez pas dans un Trivial Pursuit contre lui, vous êtes sûrs de perdre… Ou plutôt, non, il vous laissera gagner, pour cacher son talent. Tout comme ma mère, mon père est persuadé qu’il vaut mieux se faire discrets et nous fondre dans la masse ! Et il est passé maître dans cet art. Par exemple, dans la rue, il ressemble à n’importe quel employé de bureau, avec son banal costume noir, sa cravate bien nouée, ses petites lunettes (qui ne lui servent d’ailleurs à rien puisque sa vue est parfaite !) et sa coiffure de premier de la classe. Et dès qu’il rentre à la maison, c’est la métamorphose : on passe de l’individu lambda au quadragénaire sexy style Georges Clooney. Allez comprendre… En tout cas, quand on le voit comme ça, on comprend pourquoi ma mère en est tombée follement amoureuse et pourquoi, aujourd’hui encore, elle continue à l’admirer.

Bon, faut que je file. La suite du portrait de mon père au prochain épisode !

lundi 24 octobre 2011

Aujourd'hui, je suis officiellement papy-sitter...

La barbe ! Comme si je n’étais pas déjà assez occupé comme ça. Mes cours, les répétitions avec mon groupe, et pour couronner le tout, ma mère me demande de faire le papy-sitter… Ça, c’est ce que j’appelle une vie d’ado épanoui !

Vous vous demandez sans doute pourquoi je suis aussi accablé à l’idée de promener mon grand-père… On voit que vous ne le connaissez pas. Il est un peu la contradiction incarnée : c’est l’homme à la fois le plus intelligent et le plus socialement inadapté que je connaisse ! Je passe sur son nom : Melkaridion. Je sais, nous sommes spécialistes des noms bizarres dans la famille… C’est un peu notre héritage ; Melkaridion, donc, mon grand-père, est très âgé : à le voir, on dirait qu’il a cent ans. Mais à l’entendre parler, il semble encore plus vieux. Je précise : il n’est pas vieux au sens de « gâteux », mais de « sage ». Quand il vous regarde… j’ai du mal à vous expliquer. David a eu des mots assez justes pour le décrire. L’autre jour, il a rétorqué à Elton qui essayait de tourner grand-père en ridicule : « J’aimerais te voir à cent ans passés, si tu survis d’ici là. Il a l’air doué, le grand-père. T’as jamais croisé son regard ? Fais l’expérience et tu te sentiras petit, petit… Même pas ton mètre soixante ! ».

En clair, j’ai donc un infini respect pour lui. Mais en même temps, il a le don de se mettre dans des situations assez embarrassantes. Depuis peu, il semble être atteint par la maladie d’Alzheimer. Il commence à tout mélanger : ses connaissances historiques, ses propres souvenirs, sa perception de la réalité… Et là, c’est le drame : il se met à parler aux arbres, il rejoue intégralement la scène d’une bataille historique en prétendant être le conseiller en sorts de Louis IX, il raconte ses conversations avec Louis XVI ou Napoléon, et il hurle de surprise à la vue d’un banal « cab » new-yorkais. Le pire, c’est qu’il fait tout cela au beau milieu de la rue, sans même se soucier du regard des passants ou des voitures qui manquent de le renverser. Bref, il est clair qu’on ne peut pas le laisser se balader tout seul…

Ah, et j’ai failli oublier le petit détail qui tue : il ne se sépare jamais de sa souris, Simone, qu’il considère comme sa « conseillère ». Autant vous dire que l’emmener en balade, ce n’est clairement pas une promenade de santé, sans ce mauvais jeu de mots. Avec lui, c’est dur de passer inaperçu dans la rue. Cela m’étonne que ma mère, toujours préoccupée du fait qu’on paraisse les plus normaux possible, n’y ait pas pensé.

samedi 22 octobre 2011

Échapper à la surveillance de mes parents : mission impossible?

Merci pour toutes vos interventions sur facebook, mais malheureusement, j’ai peur que ça ne colle pas… Mon emploi du temps est hyper chronométré, et je peux vous dire que mes parents ont un véritable don - et le mot n’est pas trop fort ! – pour deviner ce que j’ai fait de ma journée. Imaginez-vous : je me lève le matin pour aller à mon lycée. À la sortie des cours, j’ai un temps limité pour rentrer chez moi, sinon, c’est la panique dans toute la maison. Et je ne peux même pas prévenir ma mère si j’ai un contretemps puisque je n’ai pas de portable, « trop mauvais pour la santé » selon mes parents…

Oui, je sais, ça doit vous sembler dingue. Mais promis, dès que je pourrai vous en dire plus, je le ferai !!! Pour l’instant, disons que mes parents sont très« développement durable » ascendant écolo. Ils ont donc décidé d’éviter, autant que faire se peut, tout contact avec des substances ou matériaux qu’ils considèrent comme « non-naturels » : évidemment, les téléphones portables en font partie, mais c’est vrai aussi de n’importe quel appareil électroménager ou électronique ! À la maison, tout est en bois, ou presque : les murs, les meubles… jusqu’aux couverts ! Si, si, je vous assure ! Quand je vous écris, je le fais depuis un ordinateur du lycée. Mais bon, globalement, ce n’est pas désagréable… Et ça donne un côté très chaleureux à notre maison ! On croirait presque qu’elle est vivante…

Mais cela ne me dit pas comment faire pour aller aux répéts’…

mardi 18 octobre 2011

Le début de la gloire?

C’est génial, ce qui nous arrive ! David viens de m'annoncer qu'on a été sélectionné pour jouer au bal du lycée. Notre carrière est peut-être sur le point de s’envoler !

Bon, d’accord, jouer au bal du lycée, ce n’est pas non plus remplir un stade. Mais c’est quand même l’occasion de montrer ce qu’on sait faire devant mille personnes ! En revanche, je pensais avoir le temps d’expliquer tout ça à mes parents… Et là, ça va être short pour leur faire avaler la pilule !

Si on joue au bal du lycée dans trois semaines, il faut démarrer très vite les répétitions avec le groupe. Pour des raisons que je ne peux pas encore vous expliquer, il se trouve que j’ai la chance d’être capable d’assimiler n’importe quelle partition en quelques minutes. En fait, je me sens même obligé de faire des fausses notes, pour ne pas mettre les autres mal à l’aise ! Oui, je sais, ça fait bizarre, mais c’est encore le principe fondamental dans ma famille : éviter de se faire remarquer. Il faut avouer qu’ils n’ont pas forcement tort. Ce petit tour de passe-passe me permet effectivement de ne pas subir la jalousie dévorante de Brian et d’Elton, respectivement claviériste et bassiste du groupe, qui n’y voient que du feu. En revanche, David, lui, semble se douter de quelque chose : il commence à trouver étrange que je n’ai pas de problème à apprendre en quelques secondes des passages vraiment complexes alors que je me trompe fréquemment sur des accords basiques. Après tout, c’est mon meilleur ami. Je devrais sûrement lui faire plus confiance.

Bref, tout cela pour dire que le problème de mes parents n’est pas facile à résoudre : il va falloir que je m’absente de la maison sans qu’ils me repèrent, pour participer à des répétitions que je devrai de toute manière abréger pour ne pas disparaître trop longtemps dans la nature. Qu’est-ce que je vais bien pouvoir trouver comme excuse ?

lundi 10 octobre 2011

Salut à tous ! Bienvenue sur mon blog :)


Je m’appelle Antonius Dolce, mais la plupart de mes amis m’appellent Anto. Je vis à Brooklyn, près de New York, avec ma famille. Une situation qui commence un peu à me peser pour être honnête… Vous comprendrez vite pourquoi !

Je suis le guitariste du groupe de rock Dirty Devils, que j’ai monté avec mon meilleur ami, David. Et notre première tournée, prévue dans pas très longtemps, débutera aux Etats-Unis et nous conduira, je l’espère, jusqu’en France ! Vous devriez commencer à entendre parler de nous début novembre ! Et ça, c’est encore quelque chose qui risque de ne pas plaire à mes parents.

Comment vous expliquer ? Disons qu’un certain mystère plane autour de notre famille… et que mes parents ne sont pas trop fans de mes « initiatives » : le groupe de rock bien sûr, mais même sortir avec des amis, dormir chez un pote… Bref, être « normal » ! Eux, c’est plutôt « pour vivre heureux, vivons cachés ». Je sais qu’ils ont de bonnes raisons pour cela. Mais quand même ! Vous savez que personne ne vient dîner à la maison. Jamais : Eh oui, à ce jour, aucun homme, adulte ou adolescent ne faisant partie de la famille Dolce n’a encore pu pénétrer chez nous !

Alors vous imaginez dans quel état les plongera l’annonce d’une tournée de mon groupe ! Surtout si ça marche ! Il va falloir que je leur annonce les choses avec diplomatie. Heureusement, j’ai encore un peu de temps devant moi.