jeudi 27 octobre 2011

Je rectifie : pire balade de ma vie… Les frasques de Melkaridion, suite et fin

M’attendant dès lors au pire, j’ai continué mon périple vers le parc accompagné de mon grand-père. Au début, je ne m’étonnais même plus de ses réactions. Mais je me suis rapidement rendu compte qu’elles manquaient cruellement de cohérence. Comme s’il choisissait ses « moments Alzheimer », s’effrayant quand une simple voiture nous dépassait mais se montrant imperturbable face à l’embouteillage monstre sur le Brooklyn Bridge. J’en viendrais presque à croire qu’il se fiche de moi, qu’il est tout à fait lucide mais qu’il a parfois besoin de lâcher prise, par lassitude ou par flemme. À son âge, moi non plus je n’aurais sûrement pas envie de faire des efforts pour m’adapter à la société. Il a déjà vécu tant de changements au cours de sa vie !
Bref, tout se passait plutôt bien quand nous sommes enfin arrivés au parc. C’est le moment qu’a choisi Melkaridion pour entrer dans une sorte de transe. Que je vous explique…

Un parc, dans une ville, c’est l’unique endroit où l’on peut s’échapper de l’environnement urbain pour se ressourcer dans un cadre relativement naturel, au milieu de plantes, d’arbres et des quelques animaux y ayant trouvé refuge. C’est exactement ce que recherchait mon grand-père. Il est d’ailleurs immédiatement « entré en communion » avec la nature. Il s’approchait des arbres, fermait les yeux, les caressait, leur parlait, comme s’il voulait leur redonner des forces et de leur permettre de lutter contre les agressions de la ville. Un peu comme s’il était leur gardien, leur protecteur… Sur le coup, j’ai trouvé cette attitude vraiment touchante : moi-même je suis persuadé qu’en s’occupant bien d’une plante, en lui montrant une forme d’affection, elle se met à mieux pousser, comme si elle puisait dans notre énergie.

Mais je ne m’étais pas rendu compte de l’impact que pouvait avoir un tel comportement en plein cœur de New York. Un nouvel attroupement s’est vite formé autour de mon aïeul. Certains le considéraient comme fou, d’autres le crurent sous l’emprise de la drogue, et d’autres encore estimèrent qu’il ne pouvait s’agir que de la performance d’un artiste engagé désirant sensibiliser les gens à la nécessité de protéger l’environnement. « Passer inaperçus », disaient mes parents : un échec cuisant. Mais le pire restait à venir…

Les passants s’agglutinaient toujours plus autour de l’arbre où se trouvait grand-père. Ce dernier a fini par exploser : « Écartez-vous !!!! Vous l’étouffez !!! » La foule, jusqu’alors plutôt avenante envers ce sympathique vieillard, est devenue carrément hostile. De quel droit ce vieux fou osait-il leur donner des ordres ? Le climat se dégradait de seconde en seconde. J’ai dû intervenir. « Excusez-le ! Ne vous inquiétez pas, c’est mon grand-père. Il ne voulait pas être méchant, il n’a juste plus toute sa tête. » J’avais honte de ce que je disais : cet homme, la sagesse incarnée, les dépasse tous de loin en intelligence… ou tout du moins les dépassait avant que l’âge ne fasse ses ravages ! Mes scrupules ont fini par s'évanouir lorsque la foule a décidé de se disperser… 

J'ai alors raccompagné mon grand-père chez nous, en repensant à la manière dont je l’avais fait passer pour un vieillard sénile. « Sois digne et fier de notre famille. Elle le mérite. Tu n’imagines pas à quel point », m’a-t-il alors lancé, comme s’il lisait dans mes pensées. Quand je disais que son manque de lucidité, ses pertes de mémoire et ses élucubrations me paraissaient une façade ! Comme s’il voulait simplement qu’on lui fiche la paix…

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